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L'histoire d'une expérience

by Francesco Lo Bue, juillet 2018,
Directeur Affaires culturelles et diffusion des Sciences et des Technologies
Université de Mons.
https://www.facebook.com/francesco.lobue.3194

20 juillet 2018

Nous sommes de retour sur le continent. Nous avons quitté la Sicile il y a quelques jours. Il est vrai que je ne compte plus mes voyages dans l’Île. Mais cette fois, il s’est passé quelque chose de différent. Mon esprit est toujours là-bas, mon âme désespère de ne plus y être.

Mon premier voyage remonte à 1976. Je n’avais encore que 3 ans. Chaque été ou presque, nous entreprenions le pèlerinage annuel pour aller voir Nonno Ciccio et Nonna Nina, les grands oncles et les grandes tantes, les innombrables cousins et cousines. Depuis, je n’ai jamais cessé d’explorer la Sicile, de la sillonner, emporté par cette irrésistible lame de fond qui me pousse à tout voir, à tout comprendre dans les moindres détails, toujours et encore… Apprendre pour enseigner, découvrir pour partager.

Cette année, j’ai décidé d’explorer une région de Sicile que je ne connaissais pratiquement pas : celle du parc naturel des Madonie, une chaîne de montagnes située dans le Nord de l’île, qui s’étend parallèlement à la côte tyrrhénienne, la côté de la célèbre cité médiévale de Cefalù.

Depuis le village familial, situé sur les hauteurs de la province d’Agrigente, les Madonie sont visibles au loin, les jours de beaux temps. Enneigées au printemps, jaunies par le Soleil en été, elles m’appellent depuis toujours. Le temps est désormais venu de s’y rendre. Immersion dans le « microcosme madonite » qui m’est inconnu.

Il y a un peu plus d’un an, l’incroyable arborescence des réseaux sociaux me permet de découvrir celui qui deviendra le personnage de notre aventure, un guide nature vivant à Caltavuturo : Tommaso Muscarella. Tommaso est un fin connaisseur de sa région, l’un des rares à être conscient des potentialités immenses de cet extraordinaire coin de Sicile, totalement à l’écart du tourisme de masse, voire du tourisme tout court : si des centaines de milliers de visiteurs déferlent sur la côté tyrrhénienne, rares sont ceux qui quittent les plages pour les hauteurs des Madonies !

Il y a quelques mois, je contacte Tommaso, et je lui fais part de ce que je recherche. Je lui décrits en quelques mots ma fille, Laïla, 10 ans, petit réacteur nucléaire, avide d’activités au grand air, de rencontres, sans cesse à la recherche de nouveaux défis à relever. Tommaso me propose alors un programme de rêve : trois jours entre canyons, campagnes et montagnes !

Jeudi 12 juillet

Nous quittons le paese dans l’après-midi, direction Caltavuturo. La route est très agréable. La lumière est superbe. J’ai conscience du caractère exceptionnel de ce qui nous attend, mais je ne puis m’empêcher d’être assailli par le doute. Ai-je pris la bonne décision ?

Nous nous immergeons de plus en plus dans des paysages nouveaux pour moi. Nous croisons des troupeaux de moutons, puis de vaches dont les cloches retentissantes nous projeter en d’autres lieux, en d’autres temps. Nous approchons du but. Petit coup de fil à Tommaso pour le prévenir de notre arrivée imminente. Selon le navigateur GPS, nous devrions arriver à Caltavuturo dans une trentaine de minutes. Tout cela me semble trop facile… De fait, patatras, voilà que la route est bloquée, cassée. Nous sommes au milieu de nulle part. Les « frane » siciliennes ont encore frappé. Il faut faire demi-tour. Ah si au lieu de me fier à ce maudit navigateur, j’avais suivi scrupuleusement les indications de Tommaso !

Je préfère m’en remettre aux avis éclairés des habitants du coin, qui m’orientent vers un nouvel itinéraire plus long, mais a priori facile, même pour moi : « sempre diritto ! » disent-ils !

C’est reparti. La lumière se fait de plus en plus douce. Les paysages qui se dévoilent devant nous sont splendides. Je me souviens alors de cette phrase magnifique, écrite par l’un des grands poètes siciliens et qui disait à peu de choses près ceci : « ne craignez pas de vous perdre en Sicile, vous découvrirez des lieux encore plus beaux que ceux que vous cherchiez. ».

La route est magnifique. Nous roulons sur les traces de l’une des courses automobiles parmi les plus mythiques, la fameuse Targa Florio où les prestigieuses Ferrari, Alfa Romeo, Porsche, Mercedes et autre Lancia se sont affrontées dans des duels épiques, c’est ici que des légendes se sont créées : l’esprit de Nuvolari plane encore sur l’un ou l’autre virage !

Au loin, au sommet d’une spectaculaire crête rocheuse, se niche un petit village fortifié, Scafani Bagni. Le paysage est ici intact, millénaire. Rien à voir avec certaines zones dévastées de la région d’Agrigente !

Caltavuturo est désormais en vue, ceinturant à plus de 630 m d’altitude, un éperon rocheux. Nous y sommes. Bon, faudra clairement que j’apprenne à surpasser mes petites peurs des hauteurs et des pentes trop grandes car, rien que remonter la rue principale qui m’amène au cœur du village m’effraie, tant la pente est raide ! Je dois me convaincre que la voiture ne va pas repartir en arrière. Non elle ne va pas se retourner ! 

Nous nous arrêtons prêt du petit parc municipal pour attendre Tommaso. Les ruelles sont animées, l’ambiance est sympa, nous sommes bien en Sicile. Et voici Tommaso et son magique vélo électrique ! Nous le suivons, direction « la Casa della Nonna ». Nous sommes ici dans un vrai village, avec de vrais habitants. Mais un vrai beau village, comme je pensais qu’il n’en existait pratiquement plus en Sicile, tant ma vision de l’habitat sicilien est influencé par ce que j’ai toujours connu dans la région d’Agrigente : des lieux autrefois plein de charme, aujourd’hui totalement dévastés par la spéculation immobilière, l’inculture, la saleté et le mauvais goût. Je suis probablement un peu trop sévère, mais qui aime bien, châtie bien.

Nous entrons dans la maison, whaow, elle s’élève sur trois étages ! Restaurée avec goût, plafonds en bois avec poutres apparentes, murs en pierre, même dans la douche… Un lieu habité par une nonna de rêve, dont les vieux binocles sont encore déposés sur la table de nuit.

Petit coup d’œil rapide depuis les balcons. La vue est splendide. L’atmosphère sonore est divine. Une cloche retentit dans le lointain. C’est beau. Mes sens sont comblés. À cet instant, j’ai l’intime conviction de ne pas m’être trompé, que mon intuition de venir ici, de faire confiance à Tommaso, ce personnage que je n’avais encore jamais rencontré auparavant, était plus que bonne.

Tommaso repasse nous prendre. Nous traversons les ruelles. Il nous conduit à sa maison, dont il a, avec Antonella, son épouse, totalement redessiné l’intérieur. Pour la première fois, je découvre dans une maison de village en Sicile une modernité et une ouverture d’esprit qui traduisent un art de vivre exceptionnel : des mezzanine design surplombent un espace de vie totalement libéré de cloisons, des murs des pierres, des œuvres d’art réalisées par Tommaso lui-même ! Ma fille, émerveillée, nous annonce que lorsqu’elle sera grande, elle veut la même maison que celle de Tommaso !

Nous poursuivons notre petite traversée du quartier. Nous sommes désormais sur le bord du village, avec toujours cet immense piton rocheux derrière-nous. Une spectaculaire montée nous conduit au repère de campagne de la famille Muscarella. C’est le choc, le coup de massue sur le crâne : mon cerveau se retrouve soudain soumis à une différence de potentiel de 40000 volts.

Nous sommes sur une terrasse magnifique, construite à flanc de coteau, protégée par une pergola tout en bois. La vue sur la vallée est indescriptible. Au loin, le village fortifié de Sclafani Bagni surplombe les hauteurs. Même le Soleil s’y met, synchronisant son coucher avec notre arrivée en ces terres secrètes et bénies des dieux.

Et voici Antonella et Nonna Pina, une dame hors du commun, une boule d’énergie et de bonne humeur qui sillonne la vie depuis 88 ans, et qui est aujourd’hui toujours en mouvement : What’s app et Android n’ont plus aucun secret pour elle. Une rencontre exceptionnelle !!!

Et voici Francesca, l’ainée de la famille Muscarella, une jeune sicilienne à la chevelure rousse et aux yeux verts, nous rappelant la domination normande, il y a près de 9 siècles. Voilà Marco, le cadet, sportif, incroyablement sympathique et jovial, le chouchou de ma fille ! Simona est encore à Palerme, elle n’arrivera que demain. Une famille de rêve, ouverte sur le monde, qui déborde d’humanité, qui a décidé de faire de la rencontre et du partage un art de vivre.

Antonella et Nonna Pina nous ont préparé un repas typiquement sicilien, un de ceux qu’elles réalisent au quotidien. Nous goûtons… Whaow… Ces froscitelle, une véritable tuerie !!!

Et voilà que l’Etoile du Berger – la planète Vénus – fait son apparition dans le ciel, en direction de Sclafani. Et là, non loin de la constellation du Scorpion visible ici en totalité, Jupiter. Fantastique. Et dire que les choses sérieuses ne sont censées commencer que demain !

Vendredi 13 juillet

J’ouvre les yeux. J’ai dormi d’une traite. Laïla dort toujours. Le calme est divin. La journée s’annonce passionnante.

Nous quittons la maison à pied, pour nous rendre au bar Siragusa où nous attend un petit déjeuner qui s’annonce des plus succulents. La lumière dans ce village qui s’éveille est superbe. Ca y est. Nous y sommes. Le lieu est très agréable, lumineux. La belle pierre dorée rend l’atmosphère encore plus chaleureuse. D’immenses photos finissent de rendre ce lieu si plaisant. Le personnel est souriant, super sympa. Quant au petit déjeuner, on n’a que l’embarras du choix : pâtisseries, capuccino, jus d’oranges pressées… Divin ! Le bar est très fréquenté. Les habitués passent prendre leurs petits cafés avant d’attaquer la journée. Nous nous installons ensuite en terrasse. Qu’il fait bon vivre ici !

Et voici Tommaso et sa mythique Land Rover de 1972 – 1972, une année magique, accessoirement celle de ma naissance !

Nous démarrons. Tommaso connait tout le monde, un salut par ici, un autre par là. Nous quittons le village. Quelques lacets plus bas, nous nous garons sur le bord de la route. Nous nous engageons dans un vallon. Au loin, des parois rocheuses, parfaitement verticales. Nous ne sommes qu’à quelques minutes du centre-ville, et nous avons pourtant l’impression d’être des explorateurs tentant de se frayer un chemin au travers d’une végétation luxuriante, dans une contrée inconnue. Laïla est aux anges. « C’était mon rêve » dit-elle.

Tommaso parvient à nous conduire jusqu’à une petite grotte utilisée par le passé par les bergers. Un havre de paix et de fraicheur, une halte bienvenue avant de reprendre notre progression vers les gorges de Gazzara, un endroit magique, terrain de jeux des enfants d’avant-guerre, et totalement oublié par la génération suivante. Nous sommes en plein été, les gorges sont à sec, mais l’endroit est paradisiaque. Fraicheur, cigales, oiseaux, et nous ne sommes que trois, pas une personne de plus. Nous nous taisons. Nous écoutons, nous dégustons, nous savourons cet instant de grâce.

Sur le retour, Tommaso nous fait découvrir un ancien moulin à eau, un dispositif très ingénieux, qui exploite une roue horizontale pour moudre le grain, un lieu qui mériterait vraiment d’être restauré tant il est beau et original ! Tommasa se bat pour cela, aussi.

Nous retournons vers la Land Rover. Cette fois, après un petit arrêt pour se rafraîchir à la fontaine, départ vers les hauteurs de Caltavuturo, dans la contrée de Terravecchia. Tommaso nous embarque alors sur un sentier à couper le souffle, spectaculaire. Oui, je l’avoue, j’ai eu peur : ma fille n’a pu s’empêcher de se moquer de moi et de ma satanée crainte de tomber dans le précipice !

Nous quittons le véhicule. La vue est époustouflante. Au loin, la mer avec l’embouchure du mythique fleuve Himère. À l’avant-plan, une petite montagne, traversée par une curieuse strate rouge. C’est le « Monte Riparato ». Tommaso nous explique que des fouilles archéologiques, toujours en cours, y ont notamment mis à jour une villa romaine des plus raffinées. Un lieu stratégique pour contrôler l’accès à l’intérieur des terres, un lieu exceptionnel pour y vivre, certainement choisi par un stratège et un esthète.

Plus encore qu’ailleurs en Sicile, tourner la tête permet ici d’admirer des paysages totalement différents, des champs, des pics rocheux, des falaises, des vallées, des montagnes imposantes.

Le temps est désormais venu d’aller apaiser notre faim. Retour en campagne. Famille au grand complet pour partager un repas digne d’un vrai resto : des pâtes au Speck saupoudrées de pistache, absolument divines ! Et bien entendu, des fruits succulents, et j’en passe. On est au paradis, clairement.

Après une petite pause bienvenue, nous enfourchons les super VTT électriques. Objectif : rejoindre l’un des plus beaux endroits de la région, le micro-village fortifié de Sclafani Bagni, qui domine la vallée, et dont le château, avec celui de Caltavuturo, constituaient les deux fers de lance de la défense du territoire. La balade est très agréable. L’assistance électrique fait des merveilles. Nous rejoignons très facilement la petite place haut perchée. Des vieux discutent sur un banc, devant le bar. Les enfants jouent tranquillement. Tommaso nous présente au maire fraichement élu. Nous papotons vélos avec les enfants, nous dégustons une petite glace. C’est super. Mais nous devons pourtant repartir, le Soleil est déjà bas sur l’horizon. C’est que Tommaso nous propose d’aller prendre un bain au coucher du Soleil ! Un bain en pleine campagne, dans de l’eau soufrée, qui sort naturellement de la montagne à près de 30°, été comme hiver !

La source se trouve en contrebas du village, et est à l’origine de l’appellation « Bagni ». La descente en vélo est grisante, les lacets s’enchainent, les uns après les autres, les paysages se parent de couleurs de plus en plus chaudes. J’ai conscience de vivre un moment unique. Cet air chaud qui vous caresse le visage, cette lumière qui vous réchauffe le cœur…

Nous arrivons près de la source à l’odeur si particulière. Un spectaculaire pin parasol semble avoir été planté là pour embellir encore le lieu. L’ancien édifice thermal et son église sont à l’abandon. Tommaso et ses amis ont réaménagé une petite piscine naturelle alimentée par la fameuse « acqua mintina ». Immersion. Devant nous, la campagne colorée par les lueurs du couchant. Cette île est décidément unique au monde.

Nous enfourchons à nouveau nos montures - en mode turbo cette fois - pour rejoindre notre camp de base à Caltavuturo. L’obscurité ne va plus tarder à tomber.

Nous sommes accueillis par la famille Muscarella à qui nous racontons nos aventures. Nous échangeons, apprenons à connaître un à un les membres de cette formidable famille, le tout en dégustant des plats que je ne pourrai vous décrire, mais qui sont à tomber par terre !

Il est déjà tard. La journée est loin d’être finie. Un morceau de choix nous attend encore.

Ce matin, avant de démarrer, Tommaso m’avait demandé si j’accepterais d’animer une séance d’observation du ciel pour le village... Comment refuser ? Montrer le ciel, proposer des clés pour le comprendre, pour en apprécier sa réalité, son histoire, ses mythes, qui plus est en cette période de grande opposition martienne – la planète Mars n’a jamais été aussi proche de la Terre depuis 15 ans ! - avec Vénus, Jupiter et Saturne, le tout sous la Voie Lactée… j’adore. Et puis, comme si cela ne suffisait pas, on est sur la Terre de mes ancêtres tout de même !

Tommaso a donc posté sur Facebook une chouette invitation, un brin flatteuse :  « Stasera raccontiamo le stelle. Un mio ospite Francesco lo Bue di tutto riguardo, fisico e astronomo, docente all'università del Belgio ci offre gratuitamente la sua conoscenza. Leggerà il cielo di Caltavuturo le stelle e ci racconterà le sue leggende. Appuntamento ore 22:30 alla pasticceria Siragusa. automuniti ci sposteremo insieme sui luoghi. Occasione unica parla perfettamente l'italiano. »

Passage éclair par la Casa della Nonna. Petite douche rapide, et nous voilà repartis par monts et par vaux, dans la campagne de Caltavuturo. Nous sommes probablement entre 20 et 30 personnes,maire et bébés compris ! Nous escaladons le Cozzo Corvo. C’est parti pour une séance que je ne suis pas prêt d’oublier, ma première en italien. 
Mon italien est très bon dans l’ensemble, mais je râle de ne pas mieux le maitriser encore. 

Partager la connaissance est une affaire de savoirs, mais aussi et surtout une affaire de langage : choisir le bon terme, le bon mot, être accessible en ne disant que des choses justes, réussir à faire passer les émotions, passer de la science à la poésie… pas facile quand on ne maitrise pas parfaitement la langue. Grrr.

Retour à la maison. Il est plus d’une heure du matin. Je tente de trouver le sommeil. Pas évident. Mon esprit ne cesse de passer en revue cette incroyable journée !


Samedi 14 juillet

Le réveil est un peu pénible… La nuit a été courte. Heureusement, le petit déjeuner au bar Siragusa a tôt fait de recharger nos batteries défaillantes. Je n’ai pas la moindre idée du lieu où Tommaso va nous emmener aujourd’hui. Nous lui faisons totale confiance !

Il fait particulièrement chaud. Nous montons dans la Land, direction le « Parco dei mostri », encore un de ces endroits extraordinaires, connus de personne ou presque.

Nous nous retrouvons assez rapidement dans un lieu hors du temps. Nous progressons lentement, le long d’un chemin de pierre, impraticable pour le commun des mortels, mais tout à fait dans les cordes de Tommaso et de son incroyable tout terrain !

J’ai vraiment l’impression d’être dans Jurassic Park, en train de découvrir, depuis un véhicule sécurisé, des bêtes antédiluviennes. Car c’est presque de cela qu’il s’agit : nous traversons une contrée étrange, parsemée d’êtres vivants aux allures tourmentées, torturées, mais toujours magnifiques, dont certains atteignent les 1000 années d’existence, des arbres déjà présents à l’époque arabe, des oliviers comme je n’en avais jamais vus, aux troncs parfois totalement ouverts, desséchés, troués, mais accueillant toujours cette vie, à l’œuvre sur des échelles de temps qui nous dépassent. Il fait vraiment très chaud. Mais quel spectacle ! Et face à nous, la chaîne principale des Madonie… Respect !

Tommaso nous emmène ensuite au cœur de la propriété : un merveilleux baglio, une ancienne bâtisse carrée, relique intacte du temps passé. Ce lieu, depuis toujours dédié à la récolte des olives, est désormais le cœur du Borgo dei Ulivi… Discussion super sympa et intéressante avec les propriétaires du lieu qui gèrent non loin de 6000 oliviers ! Tommaso est parvenu à les sensibiliser à l’importance de ces arbres, de cette bâtisse, etc. Tommaso est vraiment un catalyseur de belles choses.

Et voilà que nos hôtes m’offrent une petite bouteille de leur production, le véritable or vert. Et juste avant de partir, ils nous conduisent à l’intérieur de l’église qui jouxte la « masseria ».

Le petit fils joue avec son tracteur en plastique. Il est au paradis.

Quelle belle rencontre. J’ai même appris un tas de choses concernant ma propre huile d’olive : ce petit arrière-goût piquant est en fait gage de qualité ! Je n’ai vraiment pas perdu ma journée, d’autant qu’elle ne fait que commencer !

Nous reprenons la route, enfin, ce chemin concassé, qui devient de plus en plus en tortueux. Aucun être humain à l’horizon. Le Soleil tape de plus en plus fort, mais l’envie d’explorer l’emporte. Plus le temps passe, plus je me rends compte que Tommaso est aussi fou que moi, il est un frère spirituel, c’est clair. Ce gars va me manquer. Mais je reviendrai !

Nous quittons le véhicule, et nous commençons à grimper sur un véritable fleuve de roches, la « sciarra ». Petite pause à l’ombre d’un sous-bois avant de réattaquer. Objectif : rejoindre la « grotte des brigands ». Tommaso nous en raconte l’histoire, fascinante. Nous sommes au cœur de la Sicile des bandits, celle des Giuliano et autres. Je retrouve l’atmosphère des récits qui ont bercé mon enfance. Tommaso a dû attendre 20 années avant qu’on n’accepte de lui révéler l’entrée de cette fameuse grotte, et pour cause ! Mais ne comptez pas sur moi pour vous en révéler le secret.

La seconde partie du chemin se fait à l’ombre des pins, seules les cigales nous accompagnent de leur chant : personne n’est assez fou pour se balader ici sous cette chaleur !

Nous y voici. Tommaso a tout prévu : il enroule une corde autour d’un arbre. Il a été formé dans son jeune temps aux techniques des para-commandos : tout ce qui concerne les techniques d’exploration d’un territoire, il connait : aucune falaise, aucune grotte ne peut lui résister. Nous pénétrons quasi en rappel dans la grotte, un petit bout de monde, une tranche de vie, des souvenir de l’exil et de la condamnation à vivre sous terre sont encore là : une petite casserole, un porte-bougie… La visite est vraiment chouette ! Nous remontons, encore cette chaleur… Courage !

Retour en campagne. Antonella et Nonna Pina nous ont concocté un bon plat de pâte au fenouil sauvage, sardines et raisins secs. Ce séjour est décidément divin. Nous vivons des expériences étonnantes, en ne nous éloignant jamais de plus de trois kilomètres en vol d’oiseau du village ! Et ce n’est pas fini.

Après la pause vivifiante auprès de la famille Muscarella – comment oublier ces instants magiques partagés notamment avec Nonna Pina qui me fait découvrir l’atelier de feu son mari, un forgeron de talent, avec qui elle avait quitté la Sicile pour aller vivre et travailler à Milan ? Récit d’une vie, des difficultés à se faire accepter en tant que méridionaux… et puis la débrouillardise, l’intelligence, et le plaisir de vivre, omniprésent, et le retour sur l’Île. Et saviez-vous que cette Nonna pas comme les autres est en train de coucher sur papier ses précieux souvenirs ? Fabuleux.

Le Soleil commence enfin à taper moins fort. Après une petite glace artisanale, le moment est venu de repartir dans la nature, avec un objectif ambitieux, en tous cas pour moi : escalader une falaise, une vraie… alors que je ne suis pas du tout, mais pas du tout à l’aise sur les hauteurs.

Les falaises se trouvent non loin des gorges visitées la veille. Elles sont à cette heure-ci à l’ombre… une orientation rare et précieuse qui intéresse tous les grimpeurs siciliens ! Nous rencontrons ainsi le « Maestro » qui a fait spécifiquement le déplacement depuis Catane, la ville du Volcan, pour escalader un peu plus au frais. Très impressionnant de voir ce monsieur au buste taillé en V et aux lunettes à prismes périscopiques !

Tommaso et Marco nous expliquent le b-a-b-a de l’escalade. Ma fille m’impressionne, on dirait qu’elle a fait cela tout sa vie. C’est bientôt mon tour. Je n’ai pas peur, mais pourquoi ai-je de plus en plus tendance à sortir de ma zone de confort ? MAIS POURQUOI ? 

Finalement, tout se déroule merveilleusement bien, après les inévitables instants de doute, où on se dit : « bon, ben, finalement, je vais pas y arriver, je suis pas fait pour ça, je vais faire marche arrière, je n’ai rien à prouver ». Puis, on surmonte l’obstacle, on parvient à grimper tout en haut, et on prend du plaisir, et uniquement du plaisir, à admirer le paysage sous cette douce lumière estivale, et à redescendre en rappel.

Marco et Tommaso ont été exceptionnels, parvenant à nous mettre en confiance, à nous guider, à nous aider à profiter de ces instants magiques, à canaliser la fougue de ma fille, et à m’aider à surmonter mes doutes. À mon grand étonnement, je dois avouer avoir ressenti durant les heures qui ont suivi un sentiment de zénitude absolue, une forme de bien-être liée à la forte concentration qu’ont demandée ces exercices. Une sensation de plénitude probablement lié également au fait d’avoir surmonté ces difficultés.

Retour dans notre antre, sur les hauteurs, entre ciel et terre, pour encore un merveilleux repas.

Les discussions avec nos hôtes sont de plus en plus riches, profondes. Nous nous délectons. Ma fille oscille entre la terrasse et les rues voisines où elle joue à cache-cache avec ces enfants qu’elles ne connaissaient pas encore il y a 24 heures. Afin qu’elle puisse tout de même profiter des patatine, la famille Muscarella invite tous les enfants à venir manger avec Laïla. Incroyable. Quel sens de l’accueil, du partage, et du don ! Je retrouve là le meilleur des valeurs siciliennes. Fantastique.

Demain est déjà le dernier jour. Mon Dieu, que le temps passe vite en si bonne compagnie !

Ce soir, nous dormons sous une tente 5 étoiles que nous ont installée Antonella et Tommaso. Bercés par le vent au coucher, réveillés par le chant des oiseaux au matin. Et quelle vue pour s’éveiller !


Dimanche 15 juillet

Dernier jour. A priori, on rentre ce soir. À moins que je ne suive le conseil avisé de Tommaso de passer encore une dernière soirée avec eux, avant de reprendre la route frais et dispo demain matin.

Petit déjeuner au Bar. Tommaso nous rejoints. Direction le cœur des Madonie, Petralia, et son Parco Aventura ! Je dois avouer que si j’ai accepté cette activité, c’était à la base essentiellement pour ma fille, hyper sportive et qui adore relever les défis. Je me dis que ce genre de trucs, je vais le faire, oui, mais bon… à part pour les enfants et pour du teambuilding… Et c’est là que je me trompais, royalement, car j’ai passé un vrai beau moment, en toute complicité avec ma fille… qui ne cessait de m’encourager ! Et quelle thérapie… Se balader très haut, d’arbre en arbre, suivre des parcours de plus en en plus complexes, avec le vide sous ses pieds. Même si tout est hyper sécurisé. La magie a encore fonctionné. Concentration et sérénité maximales. Sensations – comment ne pas adorer ces immenses descentes en tyrolienne, au travers des pinèdes d’altitude, caressé par cette douce brise, enveloppé par cet air si fin ? La lumière est splendide, l’ambiance bon enfant. Cela me fait du bien, cela nous fait du bien !

Mais le temps passe vite. Il est déjà 15h. Tommaso nous propose de quitter ce lieu et de monter à 1500 m d’altitude, au cœur des Madonie, dans le légendaire rifugio Battaglia, repère hivernal des amateurs de ski. Nous empruntons une route qui nous offre un panorama indescriptible, terrible, effrayant de beauté. En contre-bas, des nuages, des pics, la mer au loin, là des chevaux… et ces étranges sommets arides, qui ne ressemblent à aucun autre, arrondis par l’usure du temps et de l’érosion. Whaow. J’ADORE !!!

Tommaso quitte subitement la route principale et nous conduit dans un lieu paradisiaque, une clairière au milieu d’un bois, le Piano Battaglia et son refuge récemment rénové et remis en activité. Tommaso est connu de tous. Tout le monde l’accueille avec un enthousiasme extraordinaire. Je prends progressivement conscience de qui est réellement mon hôte : non seulement un grand monsieur, non seulement un personnage à l’Humanité débordante, dont la personnalité a été forgée par les vicissitudes de la vie, non seulement l’un des meilleurs connaisseurs de la région, mais aussi l’un des catalyseurs majeurs de la mise en réseau de tous les acteurs des Madonie !

Le patron de l’établissement, un ancien professeur de l’Université de Palerme, un gars lui aussi d’une intelligence fine - un régal - nous rejoints. Nous nous installons en terrasse. Petite brise divine, des vaches semblent s’être accordées pour nous offrir un délicieux concert de carillon. Quelle sérénité. Encore un « luogo dell’anima » !

Les antipasti sont fantastiques, ma fille exulte. Elle quitte la table, et s’amuse à photographier, filmer, tentant probablement de faire sienne cette atmosphère si extraordinaire. Quant à nous, nous papotons, de la Sicile, des actions en cours pour faire découvrir et apprécier les Madonie, des difficultés rencontrées au quotidien, des défis à relever. Rapidement, la confiance devient telle que nous abordons des sujets profonds, de ceux qui me touchent le plus. Et qui ne manquent pas de toucher mes deux compères. Nous vivons un moment magique.

Et voilà que, sortie de nulle part, une vieille Fiat 600 apparait dans la clairière, au pied des remonte-pentes. Sicile surréaliste !

Nous décidons de nous balader. Comment ne pas avoir l’impression d’être en Suisse ? Sauf qu’en Suisse, on n’aurait probablement jamais aussi bien mangé… Ahaha. 

Nous saluons nos hôtes. Je sais que je reviendrai.

Nous reprenons la route. Tommaso est vraiment très fort. Sa sensibilité et sa connaissance du terrain sont si grandes, qu’il sait parfaitement à quel moment il faut se rendre à tel ou tel endroit. Après un arrêt panorama, direction le petit lac de Piano Zucchi. Je n’ai pas de mots pour exprimer à quel point ce lieu est divin sous cette lumière diaphane !

Tommaso, ma fille et moi nous lançons dans une amusante séance photo… On en rit encore. Les revoir nous remplis d’émotions. Des instants fugaces, volés au temps implacable qui passe, immortalisés, pour toujours. Des instants de grâce.

Après une petite halte pour remplir d’eau de source nos gourdes, nous prenons la direction du retour. Les paysages ne cessent de changer. Au fur et à mesure de notre descente, nous nous rapprochons d’une couche de brume, qui joue à cache-cache avec le village de Polizzi Generosa. Et puis nous voilà rejoints par Marco, le fils de Tommaso : changement de véhicule et de chauffeur pour ma fille : Laïla retourne avec Marco – elle exulte ! Je poursuis avec Tommaso.

Direction Caltavuturo, totalement dans la brume, spectacle impressionnant, on se croirait subitement en Scandinavie… Ce n’est pas la première que je vis cela en Sicile, puisque je l’ai vécu aussi à Erice et Aidone, deux lieux que j’adore, c’est tout dire. Caltavuturo a bien des atouts.

Ce soir, la météo est trop mauvaise pour manger sur la terrasse. Antonella et Nonna Pina nous attendent toujours en campagne, mais cette fois à l’intérieur. Encore un repas extraordinaire. C’est la quatrième et dernière soirée que nous passons ensemble – j’ai en effet accepté de rester un soir de plus, difficile de refuser ! Nous nous connaissons de mieux en mieux. Nous rions de plus en plus. Je constate même que mes hôtes se lâchent de plus en plus : on le voit au parler sicilien qui commence à prendre le dessus sur l’italien : l’italien fait certes plus bonne figure, mais c’est une langue plus froide que le sicilien, bien plus chaleureux et généreux.

Le moment est venu d’immortaliser nos rencontres via des selfies souvenirs…

Ma fille ne peut s’empêcher de pleurer. Comment la consoler ? J’ai beau lui dire, et me dire, qu’il faut partir pour mieux revenir, je ne me convaincs pas moi-même.


Lundi 16 juillet

Nous quittons la Casa della nonna. Dernier petit déjeuner au bar. Nous démarrons. Pour ne rien changer, je me trompe de chemin : chasser le naturel, il revient au galop. Heureusement, Tommaso, notre ange gardien, nous pilote à distance pour nous remettre dans la bonne direction.

Cette fois, moins de deux heures plus tard, nous sommes de retour au village familial. Mais mon esprit, mon âme et mon cœur n’ont pas quitté Caltavuturo et la famille Muscarella. Il s’est passé quelque chose de fort. De très fort. Ce sont très certainement les plus beaux jours de vacances que nous ayons jamais passés. Ou en tous cas, parmi ceux qui compteront le plus. Et qui appellent une suite.

Comme je l’ai dit à Tommaso, ces quelques jours avec lui nous posent un très gros problème : comment désormais trouver un autre endroit où nous pourrons vivre une expérience aussi forte ? Quelle incroyable idée, quel fantastique concept : une immersion totale dans une merveilleuse famille sicilienne ouverte sur le monde, qui vous prend par la main, et vous propose de partager avec elle tout ce qu’elle a de plus beau et tout ce qu’elle compte de plus cher.

J’en reste sans voix. Voilà pourquoi j’ai pris la plume.

Nous avons eu énormément de chance de vous rencontrer. Si le monde semble être devenu totalement fou, insensé, de telles rencontres nous rappellent que la Vie peut vraiment être belle et qu’elle vaut la peine d’être vécue.

Tommaso, Antonella, Nonna Pina, Marco, Francesca, Simona et Atos (le chien), on vous aime !

Merci. Grazie mille !

A presto.

Francesco Lo Bue, juillet 2018